Pourquoi la diversité biologique est la condition de notre survie
Par Éric Muraille, Université Libre de Bruxelles
La diversité, qu’elle soit de nature génétique, morphologique, comportementale ou écologique, est au cœur de nombreuses controverses. Elle fascine ou inquiète. Mais qu’est-ce que la diversité biologique ? Quelle est son utilité, comment est-elle générée et quelles sont les conséquences prévisibles d’une réduction de cette diversité ?
L’incroyable diversité du vivant
Premièrement, la diversité génotypique au sein d’une même espèce de procaryote peut être incroyablement élevée. Les membres d’une espèce bactérienne partagent certaines parties de leurs génomes codant pour des fonctions métaboliques et informationnelles essentielles (ce que l’on appelle le core genome), mais portent souvent des séquences uniques, spécifiques à une souche, servant à l’adaptation aux pressions environnementales locales. Dans le cas de la bactérie Escherichia coli, le core genome ne représente que 6 % des gènes présents dans 61 souches séquencées.
Deuxièmement, la diversité phénotypique des formes vivantes est très supérieure à leur diversité génotypique. Les entités biologiques peuvent présenter des cycles de vie complexes comprenant des états de différenciation multiples et afficher une plasticité phénotypique. Celle-ci peut conférer la capacité d’anticiper des changements saisonniers prévisibles ou de réagir à des changements imprévisibles en remodelant les processus physiologiques pour compenser les effets potentiellement négatifs de conditions environnementales changeantes.
Troisièmement, les individus génétiquement et morphologiquement identiques peuvent aussi exprimer une diversité comportementale considérable. Bien que la variation du comportement des individus dans les sociétés d’insectes eusociaux soit décrite depuis l’Antiquité, l’existence d’une spécialisation comportementale individuelle est maintenant bien documentée dans tout le règne animal.
Pourquoi une telle diversité?
Darwin avait déjà proposé que la diversité des espèces puisse augmenter la productivité des écosystèmes en raison de la division du travail entre celles-ci, suggérant que chaque espèce serait unique dans la façon dont elle exploite son environnement. Il s’ensuit que les systèmes riches en espèces pourraient exploiter les ressources plus efficacement que les systèmes pauvres en espèces (effet de complémentarité).
La diversité rendrait aussi les écosystèmes, les espèces et les populations plus résistants aux stress environnementaux. Un grand nombre d’espèces pourrait impliquer un certain niveau de redondance fonctionnelle : la perte d’une espèce aurait moins d’effet dans un écosystème diversifié que dans un écosystème pauvre en espèces (effet d’assurance). La diversité génotypique ou phénotypique au sein d’une population de la même espèce améliorerait également la résistance aux changements environnementaux. Il est par exemple bien documenté que la diversité d’une population peut augmenter sa résistance aux épidémies.
Comment la diversité est elle générée?
La théorie néo-darwinienne de l’évolution propose que la diversité biologique soit la conséquence d’accidents génétiques (mutations et recombinaisons de gènes, par exemple) survenant spontanément et au hasard, sans se soucier de leur utilité. Cependant, l’ampleur des gains adaptatifs conférés par la diversité suggère qu’un contrôle partiel de sa génération pourrait être bénéfique à la survie des systèmes biologiques. En soutien à cette hypothèse, de nombreux exemples de mécanismes générant une diversité génétique et phénotypique individuelle, nommée ici « générateur de diversité » (ou GD), ont été décrits, des procaryotes aux organismes multicellulaires complexes.
Quelles conséquences?
Il est urgent de reconsidérer l’importance de la diversité. Celle-ci n’est pas une simple richesse. C’est à la fois une propriété du vivant et une condition indispensable à sa survie. Par exemple, dans le domaine de l’éducation, est-il raisonnable de normaliser, de standardiser la formation intellectuelle des individus et des activités de recherche, alors que la diversité des comportements est source de robustesse, de synergie et de complexité dans tous les systèmes vivants ?
Dans le domaine de la production agricole, les plantes et les animaux ont été sélectionnés de manière intensive pour leur résistance et leur productivité. Bien que cette stratégie ait donné de bons résultats à court terme, il est raisonnable de douter de la capacité de populations homogènes à résister aux futurs changements climatiques et à l’émergence de nouveaux agents pathogènes. Seule la diversité peut garantir l’adaptation aux variations imprévisibles de l’environnement.
Enfin, l’importance de la diversité pour assurer la robustesse des systèmes biologiques suggère que la diminution de la diversité de la plupart des écosystèmes naturels pourrait, dans un avenir proche, entraîner un effondrement soudain de ceux-ci, ce qui aggraverait considérablement la difficulté de maintenir une production alimentaire stable.
Source: The Conversation
JE FAIS UN DON | JE SOUTIEN UN MÉDIA LIBRE ET INDÉPENDANT